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Plaisir ou déplaisir - Une question d'émotion


Dans cet article je m’intéresse à l’émotion à la base de la création artistique. Depuis longtemps, je suis curieuse et cherche à décortiquer le plaisir et l’extase ressentis en situation de création. Des moments de paradis comme je les appelle, où le temps semble s’arrêter.

Et oui, l’homme recherche le plaisir et fuit le déplaisir! Aviez-vous remarqué? La créativité est certes un facteur primordial de l’univers artistique mais attardons-nous dans un premier temps aux sensations.

Je dois tout d’abord faire une mise au point en ce qui a trait à la réception de l’œuvre. Même si notre première réaction en cette matière est d’observer l’expérience et les sensations du spectateur, l’émotion vécue par celui-ci au contact d’une œuvre ne lui est pas uniquement réservée. Edmond Couchot pense que la position de l’artiste et celle du spectateur ne sont pas si éloignées l’une de l’autre si on considère l’artiste comme le premier spectateur de son œuvre[1]. Je m’estime être spectatrice de mon travail de création à chacune des étapes de celui-ci; que ce soit, entre autres, lorsque je dois prendre une pause ou du recul, regarder la nouvelle partie de l’œuvre qui se joint à celle existante ou s’y superpose ou encore s’y oppose. Je cherche à l’intérieur de moi, parfois une signification à saisir pour poursuivre le travail ou dans d’autres cas, je décide d’y mettre un point final et de repartir sur une autre piste, une autre intuition, une autre vague. Je suis consciente que j’ai un pouvoir sur l’œuvre, alors que le spectateur-passif est muselé dans ses actions. Gardons en tête l’acteur-spectateur de la réalisation d’un objet d’art au centre du sujet dans le présent article.

Votre vie quotidienne, comme la mienne sont traversées par les émotions, le plaisir et le déplaisir, à moins d’être affligé d’une certaine pathologie[2]. Est-il possible de créer une œuvre sans ressentir d’émotion? Il est de mise de se demander de quelle façon l’émotion contribue à l’œuvre d’art. Pour rendre compte et cerner l’expérience vécue en présence d’une œuvre on parle d’émotion esthétique ressentie par le spectateur. À ce sujet, nous pouvons lire dans l’ouvrage «La naturalisation de l’art», que «Le sentiment esthétique est le résultat du traitement cognitif d’une émotion associée à un plaisir particulier. Cette émotion-plaisir est déclenchée par la perception de certaines formes sélectionnées par notre attention cognitive et non par des idées ou des abstractions[3].». Allons plus loin maintenant avec la signification de l’expression sentiment esthétique, en examinant les deux termes séparément. D’abord l’esthétique se définit, selon l’Encyclopédie Larousse, par une « théorie philosophique qui se fixe pour objet de déterminer ce qui provoque chez l’homme le sentiment que quelque chose est beau[4]. ». À celle-ci, nous juxtaposons les émotions. Antonio Damasio, neuroscientifique renommé, différencie les émotions des sentiments. Il nous explique qu’il est difficile de provoquer sciemment une émotion[5]. Selon lui, et résumé sommairement : l’émotion serait une réaction physique, la plupart du temps perceptible (posture, mimique, voix, etc.) et parfois amorcée sans notre contrôle alors que le sentiment, serait la traduction psychique d’une émotion[6]. Couchot nous dit également que les émotions sont essentielles à tout processus de décision et de raisonnement[7]. Sans ces émotions ressenties et ces sentiments qui nous traversent pendant l’action créatrice, il n’y aurait aucune activité cognitive; nous n’arriverions pas à faire des choix aussi simples que celui du matériau ou de la couleur à appliquer et l’endroit où nous souhaitons la déposer sur le support. Avant même d’en arriver à toucher à ce que l’œuvre nous renvoie (souvenir, appréciation d’un style, etc.) l’émotion est nécessaire à la mise en œuvre de l’objet d’art. L’art est une affaire d’émotion, tout comme la vie humaine en fin de compte, sans décision, sans raisonnement nous évoluerions en suivant notre instinct.

Notre cerveau dans son évolution épigénétique, nous a permis de développer cette capacité à faire des choix. Ceux-ci ont un but simple : rechercher l’agréable et éviter le désagréable; une question de survie. Pour se fixer sur l’une ou l’autre des possibilités qui s’offrent à nous, en plus de l’émotion qui se doit d’être présente NOUS devons être conscients; savoir que nous sommes dans ce corps qui nous appartient. L’activité artistique et la conscience de soi sont tous deux des phénomènes qui nous distinguent des autres espèces vivantes. Jean-Pierre Changeux affirme que « Le Beau serait ainsi véhiculé sous la forme de synthèses singulières et harmonieuses entre émotion et raison qui renforceraient le lien social[8].» Il décrit la réception d’une œuvre de cette façon : « Le spectateur questionne le tableau du regard et sélectionne des réponses perceptuelles qui s’ajustent à ses «attentes» intérieures[9].» L’activité artistique et ses fruits sont porteurs de l’intelligence de ses acteurs et spectateurs. L’art témoigne de notre parcours évolutif. Souhaitons qu’il puisse occuper dans nos sociétés une place à la mesure de ses potentialités et surtout que nous sachions les exploiter.

Article publié dans la revue NECT’ART de décembre 2013

[1] COUCHOT, Edmond, La nature de l’art. Ce que les sciences cognitives nous révèlent sur le plaisir esthétique, Paris, Hermann, 2012, p. 105.

[2] La nature de l’art… op. cit., p. 105.

[3] La nature de l’art… op. cit., p. 109.

[4]Encyclopædie Larousse [en ligne], consulté le 23 octobre 2013. URL : http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/esthétique/49481

[5] DAMASIO, Antonio, Le sentiment même de soi. Corps, émotions, conscience. Paris, Odile Jacob, 1999, p.68.

[6] Le sentiment même de soi…op. cit., p. 60.

[7] La nature de l’art… op. cit., p. 105.

[8] CHANGEUX, Jean-Pierre, Du vrai, du beau, du bien. Une nouvelle approche neuronale, Paris, Odile Jacob, 2010, p. 514.

[9] Du vrai, du beau, du bien…,op. cit., p. 141.

Crédit photo : arcreyes [-ratamahatta-] via Foter.com / CC BY-NC-SA


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