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Art dharma : Une présence consciente à la création


Dans cet article, je vous parlerai de l’art dharma. Mais attardons-nous d’abord à l’exercice méditatif au sein du processus de création. À ce sujet et de façon générale, dans son livre Les pouvoirs de la conscience, le chercheur en neurosciences Mario Beauregard (2013) nous dit, faisant référence à Davidson RJ, Lutz A (2008), que le terme méditation renvoie à une diversité de techniques d’entraînement mental qui ont été élaborées « pour favoriser l’équilibre émotionnel et le bien-être » (p. 74). Les pratiques de la méditation que l’on désigne par l’expression pleine conscience, selon Beauregard (2013), « impliquent de laisser toutes les sensations, les pensées et les émotions émerger d’instant en instant, tout en maintenant une conscience attentive bien que détachée, sans jugement ni analyse » (p. 74). C’est cet état vécu dans le processus créateur où le jugement est absent et que l’action se réalise en accord avec les sensations qui m’intéresse. Beauregard nous explique, d’après Wallace (1999), que les techniques de méditation « mènent à une sensation profonde de tranquillité apaisante, un ralentissement du monologue mental interne, et un basculement vers une expérience élargie de soi qui n’est plus centrée sur les représentations du corps et les pensées du méditant » (p. 74).

Concernant l’expérience sur soi, l’artiste interdisciplinaire Sylvie Cotton (2011), dans son livre Désirer résider, déclare qu’une « pratique incarnée et transparente produit une présence authentique » (p. 17). Elle nous parle de sa pratique en résidence et de sa pratique consciente en atelier.

« L’aventure performative n’est pas toujours joyeuse et aisée. Elle consiste d’abord à travailler avec ce qui est là : le matériau du moment, les peurs, les aspirations, les limites et les potentiels de l’artiste, puis les caractéristiques du contexte environnant. Les reconnaître permet de les utiliser. Le concept de l’atelier intérieur fait ensuite considérer et accueillir avec une fraîcheur et une ouverture conscientes ce qui est devant soi et autour de soi dans le temps et l’espace du nouveau lieu de résidence : l’autre, les phénomènes, le temps, l’espace, le vent, les saveurs, bref ce contexte suscite une curiosité de plus en plus volontaire et engagée. » (p. 17)

Dans sa pratique en présence consciente, l’artiste Sylvie Cotton (2011) est influencée par les principes présentés par Chögyam Trungpa, maître tibétain qui a été l’un des premiers à transmettre le bouddhisme en Occident. Parmi les principes présentés par le lama tibétain qui expliquent le rapport conscient de l’artiste à la situation de création, elle souligne celui de la première pensée :« meilleure pensée ou tel qu’il l’énonçait lui-même : first thought, best tought. »

« Il ne s’agit pas de la première pensée à se présenter à l’esprit, mais de la première à y surgir après que le mental se soit connecté avec l’instant présent, son environnement et ses caractéristiques. La transformation s’engage lorsque, sur le point de réagir selon ses familiarités, l’esprit est saisi. Cet instant de suspension entre la pulsion familière (énergie d’habitude aveugle) et la peur de l’inconnu (énergie de fixation obsessive) peut générer une spontanéité renouvelable (énergie d’éveil clair). Pour favoriser ce mouvement, le désir a besoin de laisser de l’espace cru, clair, vide blanc entre l’esprit et l’action à poser. Cela ne veut pas dire qu’il faille se tourner la langue sept fois avant de parler. Dans ce cas, on tombe dans l’autre extrême, celui de l’autocensure. » (p. 17-18)

Ce principe issu de l’art dharma donne accès à un matériau qui se trouve au-delà des préoccupations qui peuvent nuire à un processus de création qu’on souhaite libre d’attente envers la réception. On retrouve dans l’art dharma une conception de la création qui demande un état d’esprit juste. Chögyam Trungpa (2003), fondateur de l’Institut Naropa, définit dans son ouvrage Dharma et créativité l’art dharma comme étant :

« un art jaillissant d’un certain état d’esprit chez l’artiste, qu’on pourrait appeler art méditatif. Il s’agit d’adopter une attitude directe dans son travail de création sans s’attarder sur soi-même. […] Dans l’art méditatif, l’artiste incarne à la fois le spectateur et le créateur du travail. La vision n’est pas dissociée de l’opération, on ne craint pas la maladresse ou l’incapacité d’atteindre son objectif. » (p. 21-22)

Sylvie Cotton (2011) nous dit au sujet de l’art dharma :

« Dharma est un mot sanscrit qui signifie vérité et phénomène et qui, par extension, est utilisé pour désigner l’ensemble des enseignements bouddhistes qui, en fait, relèvent tous de l’observation et de la connaissance des phénomènes que la « réalité » nous offre. Son approche du processus et de l’acte créateur […] définit plusieurs principes de base de la méditation, soit la mise à contribution des facultés mentales de l’attention et de la conscience afin d’observer le cheminement de la pensée et le rapport de celle-ci au monde phénoménologique. » (p. 17)

Philippe Filliot (2014), titulaire d’un doctorat de l’université Paris 8 et professeur agrégé d’arts plastiques à l’université de Reims Champagne-Ardenne, nous dit que la méditation est de plus en plus présente dans nos sociétés. On la rencontre dans l’univers médical pour combattre le stress et comme moyen d’atteindre un bien-être. À ce sujet il nous dit que :

« La méditation, hier réservée à quelques initiés, se diffuse largement dans nos sociétés sécularisées. Elle se détache de ses sources religieuses traditionnelles, et devient maintenant une méthode laïque pour vivre « en pleine conscience » (mindfulness). […] la méditation ne se réduit pas à cette quête de bien-être. Elle consiste plus fondamentalement en un autre rapport à soi, aux autres et au monde. Selon Krishnamurti (1895-1986), pionnier dans les années 1960 d’une spiritualité sans croyances, « l’esprit méditatif voit, observe, écoute sans le mot, sans commentaire, sans opinion, attentif au mouvement de la vie dans tous ses rapports, tout au long de la journée ». » (p. 39)

Selon Filliot (2014), « méditer est, avant tout, un « art » de la présence et de l’attention. » Les artistes l’utilisent dans leur pratique. Il déclare qu’« en amont, la pratique de la méditation peut être une source impalpable, invisible, intérieure, mais qui nourrit en profondeur l’activité artistique. Dans l’art de la Chine traditionnelle, le peintre véritable médite longuement avant de peindre. » Mais la méditation n’est pas seulement réservée à l’artiste. Filliot poursuit ainsi : « Du côté du spectateur, l’œuvre d’art est parfois le moment d’une telle expérience méditative, dont les effets sont bien étudiés aujourd’hui par les neurosciences cognitives ». (p. 39)

RÉFÉRENCES

Beauregard, M. (2013). Les pouvoirs de la conscience, Paris : InterÉditions, 232 p.

Cotton, S. (2011). Désirer résider, Alma : Centre Sagamie, 134 p.

Davidson, RJ, Lutz, A, (2008). « Buddha’s Brain : Neuroplasticity and Meditation », IEEE Signal Process Mag, 25 : 176-174

Filliot, P. (2014). Illuminations profanes : art contemporain et spiritualité, Lyon : Nouvelles éditions Scala, 128 p.

Trungpa, C. (2003). Dharma et créativité, Paris : Seuil, 192 p.

Wallace, BA. (1999). « The Buddhist tradition of Samatha : Methods for refining and examining consciousness », J Conscious Studies 6 : 175-187.

Crédit photo : h.koppdelaney via Foter.com / CC BY-ND


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